top of page
  • Photo du rédacteurRoman

Sufjan Stevens, soleil et cygnes | Pt. 1

Généralement, les artistes composent des chansons. Parfois, elles sont bonnes. Plus rarement, elles sont excellentes. Encore plus rare lorsqu'elles sont d'une beauté insaisissable : de temps en temps, sur un disque, se cache une de ces perles. Mais alors, un album de douze chansons dont chacune est une de ces perles, qu'est ce que c'est ? Eh bien, on appelle ça un chef-d'oeuvre. C'est le cas de Carrie & Lowell, septième album de Sufjan Stevens et donc point de départ de cet article.

Carrie, c'est Carrie Stevens, la mère de Sufjan. Elle a quitté Sufjan et son père Rasjid quand il n'avait qu'un an, donc évidemment ses souvenirs sont plutôt flous : "Parfois on la voyait pendant les vacances, pour quelques jours. Il y avait une lettre, de temps en temps", a-t-il déclaré en 2015 pour la sortie de l'album, qui fait écho à la mort de Carrie en 2012. On peut s'imaginer qu'un tel contexte engendre des superbes chansons, et, effectivement, c'est le cas. Lowell, quant à lui, c'est Lowell Brams, le beau-père. Sa première rencontre avec Sufjan, c'était en 1976, mais puisque Sufjan n'avait que onze mois, c'est véritablement en 1980 qu'ils tissent des liens : Lowell se marie avec Carrie cette année-là. L'union ne durera que cinq ans, mais les deux resteront amis, et même collègues, puisqu'en 1999 ils co-fondent le label Asthmatic Kitty, qui sera la maison de Sufjan pour les vingt années à venir. Et Sufjan lui-même naît en 1975, à Detroit, Michigan. Voilà, le décor est planté, les personnages sont en place : la symphonie peut commencer.


Pochette de Carrie & Lowell


Oui, ce disque est comparable à une symphonie chaque piste de guitare, chaque voix, chaque note de banjo, bref chaque détail est arrangé à la perfection et l'on ne peut que s'incliner devant la maitrise totale du songwriter. Carrie & Lowell fait partie de ces albums qu'on à l'impression d'écouter pour la première fois, alors que ça fait des dizaines de fois qu'on s'est laissé porté par les quarante-quatre minutes émouvantes mais jamais mélo. Et puis, surtout, c'est triste. C'est triste dès Death With Dignity, d'où émane le souvenir de sa mère et ou le chagrin laisse place à l'anxiété, aux souvenirs et aux regrets. Et c'est triste jusque dans les dernières notes de Blue Bucket Of Gold, rongée par le remord et la mélancolie. Et tout ce qu'il y a entre les deux, Should Have Known Better ou The Only Thing, Fourth Of July ou Drawn To The Blood, eh bien c'est tristement beau aussi. Vous l'aurez sans doute compris, ce n'est pas un album festif et enjoué. C'est plutôt le genre de disque qui se découvre vraiment le soir, à tête reposée et quand on prend le temps de le comprendre. Il faut peut-être plusieurs écoutes pour avoir le déclic, mais faites-moi confiance, ça vaut le coup.


Alors, comment on est-on arrivé là ? Humainement, il s'est passé beaucoup de choses dans la vie de Sufjan Stevens, et donc forcément musicalement aussi. Il a commencé dans Marzuki, un groupe de folk rock qui a eu pas mal de succès chez les jeunes du Michigan, à la fin des 90s. Marzuki, c'est le frère de Sufjan qui n'était en fait même pas dans la formation. Et selon Sufjan lui-même le groupe n'était pas terrible : "On jouait ce qu'on pourrait décrire comme des chansons de folk-pop intimes avec des faux-airs Celtiques", a-t-il plus tard raconté. Au bout d'un moment, il a donc laissé le groupe de côté et a obtenu un diplôme de designer graphique à The New School, à New-York. Mais à côté de ça, il n'a pas laissé tomber la musique et enregistre peu à peu sur une cartouche four-track A Sun Came, son premier album. Ce disque est remarquable déjà par le fait que Sufjan joue 18 instruments, qu'il dure 72 minutes (assez long, pour un premier album) et surtout qu'il n'a aucun sens. 21 morceaux, certains dépassant les six minutes, composés d'influences diverses, d'arrangements étranges et de paroles parfois sans queue ni tête.


Premier album, déjà particulier


Certaines chansons sont quasiment inécoutables (ou alors à très petites doses) comme Satan's Saxophones, qui comme son nom l'indique, sonne un peu comme si le Diable se mettait au free jazz. Mais d'autres, comme la ballade rétro A Loverless Bed (Without Remission) sont vraiment magnifiques et portent déjà la signature de ce que deviendra la musique de Stevens dans les années qui suivent. Mais ce n'est pas un album facile. Et son successeur ne le sera pas non plus puisque ce sera Enjoy Your Rabbit (what the fuck, qu'est ce que c'est que ce titre encore ?), un recueil de quatorze chansons basées sur les signes du zodiaque Chinois. Dans le genre soudain-changement-de-style, on ne pouvait pas faire mieux (ou pire ?) : Sufjan nous offre gracieusement une bonne heure de bidouillages électroniques instrumentaux, la plupart complètement déconnectés les uns des autres, le plus intéressant de tous étant Year Of The Horse. Bien qu'il n'ait strictement aucun rapport avec le moindre cheval, ce morceau de treize minutes vaut vraiment le coup pour son côté planant et sa super mélodie. Mais dans son ensemble, Enjoy Your Rabbit n'est pas franchement essentiel. C'est plutôt deux ans plus tard, en 2003, que sortira un des albums les plus intéressants de l'artiste, et qui posera les bases de son identité musicale, le premier de son fameux fifty states project : Greetings From Michigan, The Great Lake State.


L'histoire du "projet des cinquante Etats" est assez complexe, et elle commence en 2002. Un certain Daniel Gill devient le manager de Sufjan Stevens, et l'invite au restaurant pour parler de sa carrière qui peine à décoller (inutile de préciser que les deux premiers disques n'ont pas vraiment été des succès commerciaux). Stevens raconte qu'il a composé deux albums : d'abord un au banjo, et puis un autre au piano, ce dernier basé sur l'Etat du Michigan. Comme une blague, Daniel Gill propose que Sufjan annonce son intention d'écrire un album pour chaque Etat de l'Union, afin d'attirer un peu l'attention sur lui. le musicien aime l'idée, et Michigan sort donc en juillet 2003, accompagné de critiques chaleureuses : Pitchfork attribue une note de 8.5/10 et le Guardian carrément 5 étoiles. Ça y est, Sufjan Stevens acquiert enfin une reconnaissance et devient la nouvelle star de l'indie-folk-underground. C'est mérité, puisque cet album est simplement somptueux.


Et les compositions au banjo alors ? Eh bien, elles se transformeront peu à peu en Seven Swans, un disque dépouillé et doux sorti au printemps 2004. Les chansons sont bien plus intimes que sur Michigan : "Seven Swans a juste pris plus de temps, parce qu'on avait pas de limite. Il n'y avait rien qui pressait. [...] Je pense que c'est plus personnel parce qu'elles ont été écrites avec la voix dans ma tête et les instruments, juste moi seul dans ma chambre", raconte t-il dans une interview en 2004. C'est aussi un de ses albums les plus courts. En fait, il approche la perfection : beau, intime, intense. Et largement inspiré par la Bible, comme la superbe Abraham, ou l'éponyme Seven Swans, qui fait référence au Nouveau Testament. On pourrait considérer que 2004 est la période chrétienne "born again" de Sufjan Stevens, un peu comme celle de Bob Dylan sans le délire mystique et les mauvais albums. De toute façon, ça ne durera qu'un an : en 2005, il choisira l'Illinois pour la deuxième étape de son projet des cinquante états et sortira ce qui deviendra un de ses disques les plus acclamés. Mais ça, ce sera dans un autre article... Patience !

 

"I do feel like I'm 40 going on 14 sometimes."

-Sufjan Stevens, 2015-

 

Nos réseaux sociaux : Twitter, Instagram, Facebook

126 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page