Et voilà que débarque une nouvelle série d’articles sur Stereo System : le Studio Tour. Le concept est simple, raconter l’histoire des studios d’enregistrement les plus mythiques. Création, artistes phares, événements qui s’y sont déroulés, anecdotes, et cætera. Le studio qui a l’honneur d’inaugurer la rubrique s’appelle tout simplement Le Studio... Eh oui, pourquoi trouver un nom original quand on en a déjà un sous la main ? C’est le fameux pragmatisme québécois.
Tout commence en 1971, lorsque le producteur André Perry décide de déménager son studio. Celui qu’il possédait auparavant se trouvait tout simplement dans une église de Montréal ! Malgré l’acoustique hors du commun, les voisins se plaignaient (bah oui, tu m’étonnes) et le coût d’entretien était trop élevé. Perry imagine donc construire son nouveau studio dans un décor vraiment aux antipodes d’une église : au bord d’un lac, dans une forêt de Morin Heights, au dessus de Montréal. D’ailleurs le lac n’avait à l’époque pas de nom, et le maire de la commune en profita donc pour lui donner le nom de Lac Perry.
Ah, et ajoutons qu’André Perry n’est pas n’importe qui dans le monde de la musique, puisqu’il était très ami avec John Lennon et qu’il organisa le célèbre bed-in à l’hotel Reine Elisabeth de Montréal en 1969.
André Perry avec John Lennon
Bref, en 1972, Le Studio est tout beau tout neuf, et ce seront surtout des artistes canadiens qui l’utiliseront dans ses premières années. Le premier artiste de renommée internationale à y enregistrer sera Cat Stevens et son concept-album spatial Numbers, en 1975. L’année suivante les Bee Gees y enregistreront (pendant cinq mois !) leur quatorzième disque, Children Of The World. C’est sur cet album que l’on retrouve des excellents morceaux disco comme You Should Be Dancing ou Love So Right. On sait aussi que Lennon y passera quelques week-ends, mais sans rien y enregistrer, du moins à notre connaissance...
Au début des années 80, après avoir été utilisé par des artistes québécois comme Robert Charlebois ou Luc Plamondon (mais si, le mec qui a créé Starmania avec Michel Berger !), les canadiens de April Wine ou les américains de Chicago, la renommée du studio atteint son apogée. Les artistes apprécient le professionnalisme, les moyens d’enregistrement plutôt novateurs pour l’époque, et surtout l’adaptabilité. Selon André Perry : "À cette époque, chaque ville avait un son. Los Angeles avait un son, New York avait un son [...] J’étais partant du principe qu’on devait s’adapter aux artistes. Ça leur plaisait beaucoup".
Un groupe, notamment, était fidèle client du Studio : Rush. Les Torontois enregistrèrent pas moins de cinq albums à Morin Heights entre 1980 et 1993, dont le mythique tube Tom Sawyer, et sa vidéo tournée dans le studio.
En 1981, c’est au tour de The Police de débarquer chez ce bon vieux André. Cette fois, c’est uniquement pour la chanson Every Little Thing She Does Is Magic, mais ils reviendront deux ans plus tard pour faire les overdubs (en gros, réenregistrer des pistes de guitares, claviers, etc.) sur Synchronicity, leur chant du cygne. Sting s’y rendra ensuite en solo pour son album solo The Dream Of Blue Turtles, en 1985. Et David Bowie s'y arrêtera pendant cinq semaine en mai 1984 pour son malheureux Tonight. Ensuite, au moment où les Rolling Stones se faisaient la gueule et n’avaient de groupe que le nom, Le Studio accueillit Keith Richards et sa bande de fous furieux pour l’enregistrement de son album solo, Talk Is Cheap, en 1988. C’ett également cette année qu’André Perry décide de vendre le studio, et de se retirer peu à peu du business musical. Pendant plus de 10 ans, des artistes continuent tant bien que mal à enregistrer dans ce décor de carte postale, (Céline Dion, entre autres) mais la magie n’y est plus, et en 2001, après 29 ans de musique, Le Studio ferme ses portes.
Il reste alors à l’abandon pendant 15 ans, tombant en ruine, cambriolé et dégradé, jusqu’à ce que le bâtiment soit quasiment détruit par un incendie possiblement criminel, le 11 août 2017. Il est maintenant en cours de rénovation par une association, afin de le transformer en musée dédié à ce "temple of sound". Le mot de la fin par Geddy Lee, le chanteur et bassiste de Rush, peu après l'incendie : "C’était littéralement une seconde maison pour nous. Il aura toujours une place spéciale dans nos coeurs".
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